Intelligence artificielle
Marvin Amuzu ∙15 Mai 2025∙ 5 min
Le déploiement de plus de 3 000 GPTs dédiés à des missions très spécifiques, depuis la sélection des doses pour les essais cliniques jusqu'à la formulation de réponses aux régulateurs, témoigne de l'ambition de tirer pleinement parti des capacités des modèles de langage. Ces outils permettent en théorie d'automatiser des fonctions répétitives et ainsi réduire les coûts opérationnels.
Pourtant, derrière le buzzword « agent IA » se cache souvent une réalité moins spectaculaire, faite d'imperfections. Ces systèmes, bien qu'impressionnants, n'ont pas de véritable compréhension causale et ne sont pas réellement "intelligents", au sens cognitif du terme. Ils restent basés sur les LLM (Large Language Models), qui présentent des limites intrinsèques. Par exemple, les phénomènes d'hallucinations, où le modèle génère des informations erronées ou inexactes, posent un réel problème, notamment dans un secteur aussi sensible que la biotechnologie, soumise à une forte régulation.
De plus, ces systèmes peinent encore à innover et à planifier, se contentant souvent de réassembler des connaissances préexistantes. Ainsi, il devient impératif de mettre en place une gouvernance rigoureuse, afin de répondre aux nombreuses questions qu'ils soulèvent. Qui contrôle la qualité et la pertinence de ces milliers d'agents virtuels ? Qui assure la traçabilité des décisions automatisées, notamment dans des contextes réglementés ? Etc.
La création d'outils sur-mesure peut permettre de dégager d'importants gains de productivité. Néanmoins, cette ambition s'accompagne d'une profonde inquiétude quant à ses répercutions sociales : la démarche ne serait-elle pas un simple plan social qui ne dirait pas son nom ? La question est légitime, quand on sait que la transformation observée chez Moderna intervient dans un contexte économique difficile, avec une perte de près d'un milliard de dollars au premier trimestre affichée par l'entreprise.
À chaque grande innovation correspond toujours un coût socio-économique non négligeable. Si la suppression de postes de salariés juniors, déployée aujourd'hui via des GPTs, aide à rationaliser les opérations, elle risque également de compromettre la formation de la relève. Après tout, les juniors d'aujourd'hui sont les seniors d'excellence de demain. Il convient donc de réinventer les parcours de formation et de requalification afin d'éviter une perte irréversible de capital humain.
L'un des aspects les plus préoccupants de cette transformation repose sur la forte dépendance à OpenAI. Moderna s'appuie sur un fournisseur externe pour des composantes essentielles à sa stratégie d'innovation. Cela soulève des questions de souveraineté technologique et de flexibilité à long terme. Que se passera-t-il si les conditions contractuelles évoluent défavorablement ? ou si le modèle d'OpenAI rencontre des limites inévitables ? Une dépendance excessive peut limiter non seulement l'innovation, mais aussi l'agilité stratégique.
Par ailleurs, la multiplication des GPTs, autant en nombre d'agents que de cas d'usage, nécessite une coordination et une surveillance renforcées pour prévenir les biais et les erreurs et garantir la conformité aux exigences éthiques et réglementaires. La mise en place d'un comité de gouvernance pluridisciplinaire semble ainsi indispensable pour encadrer ce vaste écosystème.
Cette expérience chez Moderna, bien qu'audacieuse, interpelle, car l'intégration complète de deux fonctions historiquement distinctes comporte des risques. Que ce soit en termes de gouvernance, de dépendance technologique ou de pérennité des parcours professionnels.
Voici quelques points clés à envisager :
Chaque innovation comporte des risques économiques, sociaux et éthiques, et Moderna semble prête à les accepter. Pourtant, le vrai progrès repose sur une collaboration solide entre la technologie et l'humain. Or, cette alliance avec OpenAI paraît encore immature, et cela soulève des inquiétudes sur sa capacité à construire un avenir stable et durable.
Au-delà du cas Moderna, cette initiative pose une question fondamentale pour notre époque : comment concevoir des organisations où la technologie amplifie les capacités humaines sans les remplacer ? Les innovations durables sont celles qui augmentent notre humanité, pas celles qui tentent de s'y substituer.