Intelligence artificielle
Julien Hébrard ∙23 Mai 2025∙ 7 min
Le concept d'agence ou de cabinet de conseil ne date pas d'hier. Pas besoin d'avoir vu tout Mad Men (excellente série par ailleurs) pour savoir qu'il existait déjà des agences de publicité à la sortie de la Seconde Guerre mondiale. Néanmoins, leur rôle était souvent cantonné à des missions assez explicites pour le grand public : publicité donc, mais aussi cabinets d'avocats, design, communication, stratégie... Avec l'arrivée d'Internet, ce type d'agence n'a pas disparu, mais le secteur n'en a pas moins été profondément chamboulé. Surtout du fait que de nombreux nouveaux types d'agences ont éclos, comme celles consacrées à la search engine optimization (ou SEO, soit l'optimisation pour les moteurs de recherche), à l'UX webdesign (l'expérience utilisateur) ou au data management.
Puis l'automatisation est passée par là et des tâches qui nécessitaient des armées de spécialistes peuvent être aujourd'hui traitées par un nombre très restreint de personnes. On pense par exemple aux cabinets d'experts-comptables dont les audits sont désormais pré-machés par toute une suite d'outils et de services. Ceux-ci font le lien entre votre compte bancaire, votre système de facturation et même désormais l'État, avec l'arrivée de la facturation électronique. L'automatisation et l'algorithmique sont au cœur même de l'économie des start-ups, dont l'objectif est bien pour la plupart de faire gagner du temps/économiser de l'argent, du moins en ce qui concerne le B2B. On ne compte plus le nombre d'outils qui permettent d'automatiser les démarches de création d'entreprise, l'optimisation du code-source d'un site ou bien sûr, comme dans notre cas avec Abstrakt, la rédaction de revues de presse.
Même si cela prendra encore quelques années, à terme le marché du conseil (estimé à 20 milliards d'euros en France) changera de paradigme. Après la première ère des grosses agences avec de nombreux consultants puis la seconde liée à l'arrivée d'Internet, la troisième sera consacrée aux IA. On passera d'audits permanents impliquant parfois des dizaines de personnes issues des grandes écoles pour un même dossier à un simple SaaS (pour Software as a Service), ou plateforme sur laquelle se connecteront les personnes impliquées en interne pour recevoir des recommandations. Si en tant que développeur j'ai un peu de bande passante pour travailler sur mon site Internet, je n'aurai qu'à me connecter pour recevoir en quelques minutes les meilleures optimisations du code-source à mettre en place, et le meilleur moyen de les intégrer rapidement. Si je suis comptable, je recevrai directement une notification dès lors que l'IA aura décelé une erreur dans les écritures ou les justificatifs... si elle ne les corrige pas elle-même.
On ne parle donc pas ici de tâches à faible valeur ajoutée, mais bien d'un programme qui viendra à terme remplacer des salariés de petites agences comme des Big Four de l'audit, qui recrutent encore pourtant aujourd'hui à prix d'or, souvent dès la sortie de l'école. L'IA ne remplacera bien sûr pas toutes les agences dans tous les secteurs, et pour les tâches les plus ardues elle ne débarquera pas avant de longues années. Par exemple, elle pourra toujours analyser des milliers de CV en quelques minutes, ce qui fera et fait déjà gagner un temps précieux. Elle pourra et elle peut même déjà faire passer des entretiens d'embauche. Néanmoins, elle ne pourra jamais proposer de contact humain et vous inviter à déjeuner.
Le bouleversement du conseil et du secteur tertiaire (activités de service en général) est inéluctable. Cette révolution impliquera de lourds investissements, techniques mais aussi humains, notamment pour former les salariés aux nouveaux usages qu'elle impliquera. Hier, on faisait souvent une seule carrière dans une même entreprise. Aujourd'hui, la carrière reste la même mais évoluer d'une entreprise à l'autre devient la norme. Demain, on pourra changer aussi souvent de métier que d'entreprise, car les besoins changeront régulièrement et les outils à notre disposition nous permettront de nous adapter tout aussi rapidement.
Ce mouvement de fond a même déjà commencé. On en prend pour preuve les nouveaux métiers qui se créent en ce moment, en particulier au niveau des start-ups : customer success, growth hacker, data engineer, etc. Dans ces métiers de plus en plus spécialisés, au nom que ne comprennent que ceux qui sont concernés, il n'est plus si rare de passer sur un poste après avoir passé plusieurs années dans un job similaire, mais tout de même différent, dont on aurait fait le tour.
On en vient donc à la destruction créatrice chère à Schumpeter : les nouvelles industries créent des postes en remplacement des industries obsolètes, en partie parce que les nouveaux usages remplacent les anciens, dans la consommation comme dans les organisations. L'arrivée de la voiture a certes détruit le métier de cocher, mais elle en a créé directement ou indirectement des dizaines d'autres, qui demandent une expertise donc apportent une valeur ajoutée plus importante : taxi, mécanicien, concessionnaire pour les plus visibles, mais aussi ingénieur automobile, designer ou salarié de la chaîne de production. Nul doute qu'il en sera de même pour les agences et cabinets de conseil. Ils ne disparaîtront pas, mais ils seront amenés à revoir profondément leur organisation et leur masse salariale dans les années à venir.