Médias
Julien Hébrard ∙04 Avr 2025∙ 2 min
Le New York Times, c'est d'abord un excellent journal avec d’excellents journalistes. Pour beaucoup d’entre eux, intégrer le Times est souvent l’aboutissement d’une carrière. Les quelques 1 700 journalistes qui composent sa rédaction sont donc triés sur le volet, et la concurrence est rude. Quand tout le monde se bat pour vous rejoindre, vous n'avez plus qu'à sélectionner les meilleurs. Résultat : le nombre de prix Pulitzer (les Oscar du journalisme) que le journal a reçu atteint les sommets, plus de 130 à l'heure actuelle. À titre de comparaison, The Washington Post, deuxième au classement, n'en a obtenu "que" 76. Autant dire qu'il n'est pas prêt de se faire rattraper.
Son récent basculement sur sa gauche, emblématique du fossé actuellement en train de se creuser entre deux Amériques irréconciliables, n’enlèvent rien à la qualité de son journalisme. Comme je l'avais déjà évoqué dans un autre billet, le parti-pris et la prise de position assumée ne sont absolument pas incompatible avec du journalisme de qualité. Le débat sur la nouvelle ligne éditoriale du New York Times est parfaitement légitime, mais force est de constater que ses sujets sont sélectionnés avec soin, recherchés et bien écrits. Tout comme le sont ses dessins de presse, ses illustrations, ses graphiques, ses vidéos...
C'est d'ailleurs peut-être là qu'est à chercher le succès du NYT. Écrire de bons articles est une condition nécessaire pour éditer un bon journal, mais pas suffisante pour créer un média d'envergure internationale. L'éclatante santé du New York Times est la conjonction d'une bonne rédaction et d'une vision stratégique, ainsi que des moyens de la mettre en oeuvre. La vraie difficulté réside, non pas dans la rédaction de bons papiers, comme de nombreux journaux sont capables de le faire à travers le monde, mais dans la bonne exécution et la bonne organisation. Ce qui a d'ailleurs fait son grand succès, c’est le virage d’Internet, qu’il a su prendre avec brio, en anticipant l'impact de cette nouvelle technologie et en prenant toute sa part dans son adoption par le grand public.
Le New York Times a été l'un des premiers grands journaux à se lancer en ligne, dès les années 90. Son équipe dirigeante a rapidement compris l'importance croissante d’Internet dans la vie quotidienne et la nécessité d'explorer ce nouvel environnement et d'y créer un site, avant d’y investir massivement. Dans les années 90, le potentiel du web était pourtant très limité : il fallait se contenter d'un site-vitrine de quelques pages, que l'on consultait principalement pour découvrir quelques Unes, sans possibilité de lire les articles ou de s'abonner. Cette vision lui aura finalement donné une telle longueur d’avance sur les autres journaux qu’elle est aujourd’hui difficilement rattrapable, tant il a les moyens d’investir dans tous les sens et sur toutes les techno : du montage vidéo au référencement en passant par le graphisme et même les jeux en ligne (pour rappel, le journal est propriétaire du jeu Wordle).
Le tout en adaptant sa ligne éditoriale et en recrutant en conséquence : le NY Times emploie plus de 5 000 personnes, dont 2 000 journalistes. Plus qu’un journal, le New York Times est aujourd’hui une marque et un symbole d’excellence. C’est un atout précieux pour attirer les lecteurs, les abonnés et les annonceurs du monde entier, ce qui crée de fait un cercle vertueux : les investissements génèrent de nouveaux abonnés, qui génèrent eux-mêmes de nouveaux investissements.
En somme, la réussite du New York Times est le fruit d'un mélange de tradition journalistique, d'innovation technologique et de renommée mondiale. Le faire tomber de son piédestal risque d’être compliqué.